Face à un cancer de la prostate, plusieurs traitements sont envisageables parmi lesquels la chirurgie avec ablation totale de la prostate. Or, le retrait de la prostate peut entraîner des effets secondaires fréquents comme des troubles de l’érection. Une équipe de chercheurs américains vient de mettre au point un médicament topique capable de régénérer et restaurer la fonction des nerfs érectiles endommagés par l’ablation totale de la prostate. Zoom sur les conclusions de cette étude prometteuse publiée en ligne dans le JCI Insight.
Prostatectomie totale et troubles de l’érection
Cancer le plus répandu chez les hommes de plus de 50 ans, le cancer de la prostate est à l’origine de 9 000 décès par an en France. Lorsqu’une simple surveillance active n’est pas envisageable, une prise en charge thérapeutique est immédiatement mise en route. Le traitement différera selon le profil du patient et le type de cancer, et pourra faire appel à la radiothérapie, l’hormonothérapie, la chimiothérapie ou encore la chirurgie. Le traitement chirurgical consistant à retirer la prostate ainsi que les vésicules séminales est appelé « prostatectomie totale » ou « prostatectomie radicale ».
Cependant, le retrait de la prostate peut entraîner des effets secondaires fréquents et prolongés comme des troubles de la continence urinaire et des troubles sexuels avec absence d’éjaculation et troubles de l’érection.
Conscients de l’impact considérable des dysfonctions érectiles sur la vie de nombreux patients et de leurs partenaires, des scientifiques américains ont cherché un moyen de restaurer la fonction érectile après une chirurgie de la prostate.
Un nouveau médicament prometteur
Pour le Dr Davies, co-directeur de l’étude, les procédures dites « d’épargne nerveuse », ne suffisent pas à éviter que la chirurgie n’endommage les nerfs caverneux. Preuve en sont les 60% des patients déclarant avoir une dysfonction érectile 18 mois après la chirurgie, et les moins de 30% de patients ayant des érections suffisamment fermes pour des rapports sexuels après cinq ans.
À savoir ! Les nerfs caverneux contrôlent la fonction érectile en régulant le flux sanguin vers le pénis.
Forts de ce constat, le Dr Davies et ses collègues de l’Albert Einstein College of Medicine ont souhaité mettre au point un médicament topique capable de régénérer et de restaurer la fonction des nerfs érectiles endommagés par la prostatectomie totale.
À savoir ! Un médicament topique se présente sous une forme galénique destinée à une application et une action locales, généralement cutanées.
Pour mener à bien leurs recherches, les scientifiques se sont appuyés sur les travaux du Dr Sharp, co-responsable de l’étude. Il y a dix ans, ce dernier découvrait en effet les propriétés d’une enzyme appelée FL2 chargée de freiner les cellules de la peau lors de leur migration vers les blessures pour les guérir. Afin d’accélérer la cicatrisation des plaies, le Dr Sharp avait ainsi développé un médicament « anti-FL2 ». Ce médicament se présentait sous la forme de petites molécules d’ARNsi chargées d’inhiber le gène codant pour FL2. Enveloppés dans des nanoparticules de gel et pulvérisés sur des souris, les ARNsi ont guéri les plaies deux fois plus vite que les plaies non traitées et ont également régénéré les tissus endommagés !
À savoir ! Les ARNsi (pour small interfering RNA) sont de petits ARN interférents qui remplissent de nombreuses fonctions comme celle de l’inhibition post-transcriptionnelle de l’expression des gènes.
Dans le cadre de cette nouvelle étude, le Dr Sharp et le Dr Davies se sont aperçus qu’après une lésion des cellules nerveuses, le gène FL2 devenait hyperactif, provoquant la production de grandes quantités d’enzyme FL2 par les cellules. Les chercheurs ont donc pensé que les nerfs lésés par la prostatectomie pourraient être particulièrement sensibles à ce médicament anti-FL2 à base d’ARNsi.
L’objectif de cette étude a donc consisté à évaluer l’efficacité de ce médicament à base d’ARNsi après une prostatectomie. Pour cela, les chercheurs ont utilisé des modèles de rats présentant une lésion nerveuse périphérique imitant les lésions nerveuses associées à la prostatectomie totale avec :
- des nerfs caverneux écrasés
- ou des nerfs caverneux sectionnés.
Vers une restauration des fonctions érectiles ?
Après application du gel d’ARNsi sur les nerfs des souris immédiatement après la blessure, les chercheurs ont pu observer des résultats concluants. Dans le cas d’une lésion nerveuse par écrasement, le traitement par ARNsi a amélioré la régénération nerveuse et restauré la fonction nerveuse, comme le montre la cavernosométrie :
- Fonction érectile des animaux traités significativement meilleure 3 et 4 semaines après le traitement.
- Réponse de la pression artérielle des animaux traités comparable à celle des animaux normaux après un mois.
À savoir ! La cavernosométrie désigne un test dans lequel la pression artérielle dans la tige du pénis est mesurée après stimulation électrique des nerfs caverneux.
Dans le cas d’une lésion nerveuse par section des nerfs, le traitement médicamenteux a induit une régénération nerveuse et une récupération partielle de la fonction érectile. Des nerfs régénérés ont été observés chez 7 des 8 animaux traités, mais chez aucun des animaux témoins. Selon le Dr Sharp, le médicament ARNsi a été capable de combler des espaces de plusieurs millimètres entre les extrémités nerveuses sectionnées. Auparavant, ce type de résultat n’avait pu être obtenu qu’au moyen d’une greffe nerveuse ! Pour le Dr Sharp, le résultat du traitement par ARNsi serait ainsi équivalent voire meilleur que la greffe nerveuse !
Pour le Dr Sharp et son équipe, les modèles de rats étant fiables dans la recherche urologique, ce nouveau médicament laisse entrevoir l’espoir de retrouver une fonction sexuelle normale pour nombre d’hommes subissant cette chirurgie de la prostate chaque année. Prochaine étape pour les chercheurs ? Savoir si les propriétés régénératives de l’ARNSi se vérifient dans le cas de lésions nerveuses de la moelle épinière. Affaire à suivre !
Déborah L., Docteur en Pharmacie
– Le traitement du cancer de la prostate. ameli.fr. Consulté le 18 juillet 2021.